Le lys

Ecolière, Yuriko se dit : « Pauvre Umeko ! Son crayon est si usé qu’il est plus court qu’un pouce et elle utilise le vieux cartable de son frère. »

Pour faire comme sa meilleure amie, elle tronçonna donc un long crayon en plusieurs bouts avec une petite scie attachée à un canif, et se fit acheter, à force de larmes et de supplications, un cartable de garçon, elle qui n’avait pas de frère.

À l’école de jeunes filles, elle se dit : « Comme Matsuko est belle ! Ses lobes d’oreille, ses doigts à peine rougis par les engelures sont vraiment adorables ! »

Pour être comme sa meilleure amie, elle laissa donc ses mains tremper longuement dans l’eau glacée d’une bassine, et partit pour l’école les oreilles mouillées, exposées au vent du matin.

Une fois sortie de l’école de jeunes tilles, Yuriko se maria, et inutile de dire qu’elle aima éperdument son mari. À l’image de celui qu’elle adorait, pour être en toutes choses semblable à lui, elle voulut donc se couper les cheveux, mettre de très fortes lunettes de myope, se faire pousser la barbe, se coller entre les dents une pipe de marin, héler son mari sans façon, marcher d’un pas vif, et s’engager dans l’armée de terre. Or, à sa grande surprise, son mari refusa tout cela. Il protestait même parce qu’elle portait le même sous-kimono que lui. Il faisait grise mine parce que, comme lui, elle ne se maquillait pas. D’être ainsi entravé, pieds et poings liés, l’amour de Yuriko s’étiola comme une plante dont on aurait arraché les bourgeons.

— Quel homme désagréable, tout de même ! Pourquoi ne me laisse-t-il pas faire comme lui ? Ne pas être comme l’être aimé, c’est trop triste !

Et Yuriko en vint à aimer Dieu. Elle pria :

Seigneur, montrez-vous à moi. Je vous en supplie. Je voudrais prendre votre apparence, Seigneur que j’adore, et agir comme Vous.

La voix du Seigneur lui parvint du ciel dans un rafraîchissant écho :

— Sois fleur de lys. Telle la fleur de lys, tu ne dois rien aimer. Telle la fleur de lys, tu dois aimer toutes choses.

— Oui, répondit Yuriko, obéissante. Elle devint une fleur de lys.

(1927)